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Haïti et le plan quinquennal de l’OEA : Une feuille de route pour la rédemption ou une nouvelle illusion ?


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Haïti vacille au bord du gouffre. Écrasée par l’instabilité politique, une violence endémique des gangs et un effondrement économique, la nation fait face à une crise humanitaire d’une ampleur sidérante. En 2025, l’Organisation des États américains (OEA) a proposé un plan quinquennal pour répondre à ces maux, articulé autour de cinq axes : renforcer la gouvernance, rétablir la sécurité, réformer la justice, stimuler le développement économique et promouvoir la cohésion sociale.


Alors que 90 % de Port-au-Prince sont contrôlés par des gangs et que 5,4 millions de personnes souffrent d’insécurité alimentaire aiguë, selon le Programme alimentaire mondial, l’ambition de ce plan est indéniable. Mais l’histoire haïtienne, jalonnée de promesses internationales non tenues, invite à la prudence. Cet éditorial examine ce projet avec un regard critique, s’interrogeant sur sa capacité à transformer le pays ou à n’être qu’un énième mirage.


Le plan de l’OEA vise à consolider les institutions démocratiques, soutenir la Mission multinationale d'Appui à la sécurité (MMAS) dirigée par le Kenya, réformer la justice, relancer l’économie et réduire les fractures sociales. Ces objectifs ciblent des problèmes criants. Haïti n’a pas organisé d’élections depuis 2016, et l’assassinat du président Jovenel Moïse en 2021 a creusé un vide institutionnel qui a renforcé les gangs et aggravé l’instabilité. Selon le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits humains, 5 600 personnes ont été tuées en 2024 à cause de la violence des gangs, tandis que l’économie a reculé de 4,2 % l’an dernier, d’après la Banque mondiale. Dans ce contexte, l’appel de l’OEA à une coopération régionale, notamment via la CARICOM, et à la mobilisation de la diaspora haïtienne offre une lueur d’espoir.


Mais les bases du plan sont fragiles. La méfiance des Haïtiens envers les interventions étrangères est ancrée dans un passé douloureux : de l’occupation américaine (1915-1934) à la mission de l’ONU (MINUSTAH), entachée par des accusations d’abus sexuels et l’introduction du choléra. L’OEA elle-même, souvent perçue comme un relais des intérêts états-uniens, peine à inspirer confiance. Son insistance sur un « dialogue inclusif » sonne faux lorsque des initiatives locales comme l’Accord de Montana, soutenu par plus de 70 organisations haïtiennes, sont reléguées au second plan au profit de solutions imposées. Cette déconnexion soulève une question fondamentale : un plan peut-il réussir s’il écarte les voix qu’il prétend représenter ?


Le volet sécuritaire repose sur la MSS, une force de 2 500 hommes dirigée par le Kenya, chargée d’appuyer la police haïtienne dépassée. Face à des gangs comme la coalition G9, menée par Jimmy « Barbecue » Chérizier, qui affichent des ambitions politiques et contrôlent des infrastructures clés, la tâche est colossale. Mais la MSS, sous-financée et sous-équipée, ne comptait que 400 hommes déployés mi-2024, selon les rapports de l’ONU. L’OEA passe sous silence l’afflux d’armes en provenance des États-Unis – Haïti a importé légalement pour 10 millions de dollars d’armes en 2023, selon les données commerciales – qui alimente les gangs. Sans s’attaquer à cette source et à la complicité de certaines élites locales, la MSS risque de n’être qu’un palliatif coûteux, incapable de démanteler les réseaux criminels qui asphyxient le pays.


Sur le plan économique, l’OEA mise sur l’agriculture, le tourisme et l’industrie, tout en valorisant le potentiel de la diaspora. Avec 2,9 millions de membres, cette dernière a envoyé 4,1 milliards de dollars de transferts en 2024, soit près de 30 % du PIB, selon la Banque mondiale. Mais dans un pays où 64 % de la population vit avec moins de 3,65 dollars par jour et où l’insécurité paralyse les infrastructures, cet accent sur les investissements à long terme semble déconnecté. Les besoins immédiats – eau potable, santé, éducation – doivent primer. De plus, la corruption endémique, illustrée par le scandale PetroCaribe, dissuade les investisseurs, y compris la diaspora. Sans mesures rigoureuses contre la corruption et un environnement sécurisé, la relance économique reste un vœu pieux.


La réforme judiciaire est au cœur du plan, mais le système haïtien est à l’agonie. L’enquête sur l’assassinat de Moïse stagne, cinq juges s’étant succédé sous la pression politique et les menaces. Les prisons, surpeuplées à 300 %, ont enregistré 168 décès de détenus en 2024, principalement dus à la malnutrition, selon l’ONU. L’appel de l’OEA à des réformes manque de détails sur la lutte contre la corruption judiciaire ou la responsabilité des acteurs internationaux, dont les interventions passées ont souvent aggravé les problèmes haïtiens. Sans une stratégie claire pour restaurer la confiance et les capacités, la justice restera hors de portée.


Le plan de l’OEA n’est pas dénué de mérites. Sa vision à long terme et son approche régionale tranchent avec les interventions ponctuelles du passé. Mais sa réussite repose sur trois impératifs : amplifier les solutions haïtiennes comme l’Accord de Montana, garantir un financement robuste pour la MSS, et s’attaquer au trafic d’armes et à la complicité des élites. La résilience d’Haïti, incarnée par sa société civile dynamique et sa diaspora, doit être au cœur de toute stratégie. L’OEA doit abandonner les approches paternalistes pour un véritable partenariat, reconnaissant Haïti non comme un problème à résoudre, mais comme une nation capable de tracer sa propre voie.


Si l’OEA échoue à s’adapter, son plan quinquennal risque de rejoindre la longue liste des promesses brisées, laissant le peuple haïtien porter seul le fardeau d’un système en ruines. Les enjeux sont trop grands pour une nouvelle aube illusoire.


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